Maintenant que le gros g?teau “Keynote Apple” a un peu refroidi, il est temps de vous servir mes r?flexions. Pas tant sur les produits que sur l’homme derri?re eux. Tim Cook vient enfin de prendre les commandes d’Apple. Cela lui aura pris 3 ans, apr?s son arriv?e suite au d?c?s de Steve Jobs.

Cook l’annonce tout de go aux m?dias am?ricains : le projet Apple Watch a ?t? lanc? apr?s la mort de Steve Jobs. C’est en soi tout un symbole, quand le gourou de la maison ?tait plut?t obs?d? par les chantiers de la t?l?vision et de l’?ducation. Apr?s des premi?res ann?es ? surfer sur les produits existants (Mac, iPhone, iPad), Cook a ici lanc? le premier produit Apple de son ?re.

Peut-?tre est-ce pour cela qu’il s’est permis d’annoncer l’Apple Watch au Flint Center, le lieu o? Jobs avait annonc? le Macintosh il y a 30 ans. Peut-?tre est-ce aussi pour cela qu’il s’est permis de prononcer le c?l?bre “One More Thing” pour la premi?re fois depuis le d?c?s de Jobs, en annon?ant l’Apple Watch.

Photo : Monica M. Davey

Cette montre symbolise en tout cas un nombre de changements qui ent?rinent l’?re Tim Cook.

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LES CLIENTS SAVENT ENFIN CE QU’ILS VEULENT

Jobs ?tait c?l?bre pour concevoir des produits sans ?couter les autres, surtout ses clients. Il en r?sultait des coups de g?nie (l’iPhone), comme des fours (le Cube).

“Steve a surtout montr? que les clients ne savent pas formuler ce qu’ils veulent. Le pire serait qu’Apple se concentre d?sormais sur les demandes des clients, et se mette ? faire des ?tudes marketing et des “focus groups”, explique un ancien de la maison, Guy Kawasaki.

A l’inverse, Cook est un puissant pragmatique, beaucoup plus ? l’?coute du march?, des demandes et des concurrents. La 6e g?n?ration d’iPhones se pose ainsi comme la r?ponse la plus logique qui soit ? la menace Android : de grands ?crans, en plusieurs tailles. Un demi-tour complet des principes de Jobs qui a toujours d?test? les larges ?crans comme les larges gammes de produits. Mais ?a marche.

Etant un client historique de l’iPhone, j’ai souvent ?t? tent? par l’aventure Android, notamment pour un ?cran plus grand, malgr? ma pr?f?rence ? iOS. Avec l’iPhone 6, mon h?sitation est pass?e de iOS vs. Android ? “6” vs. “6 Plus”.

Montage : The Verge

L’Apple Watch, enfin annonc?e, ne pr?sente de son c?t? rien de r?volutionnaire malgr? son statut de “V1” et de nouveau type de produit. Pire (mieux ?), elle valide m?me l’approche d?j? prise par la concurrence. Elle n’offre pour le moment aucun usage ou aucune technologie disruptifs, contrairement ? l’iPhone “V1” (tactile capacitif, gyroscopes…), ou l’iPod (click wheel, iTunes Store). Ces derniers “r?inventaient” (mot cher ? Apple) un secteur et son langage qui se pensaient mature, quand la Watch n’apporte qu’une interpr?tation, personnelle mais convenue de la smartwatch.

Si la m?thode Cook semble moins sexy, elle n’en poss?de pas moins ses solides arguments. Jobs s’?tait tromp?, en refusant de voir les tablettes 7 pouces, les phablettes et les smartphones 5 pouces. Si Cook avait suivi ces visions de produit unique, l’iPad Mini n’aurait pas vu le jour, par exemple.

Steve Jobs disait aux clients ce qu’ils voulaient, Time Cook ?coute ce que les clients veulent. ? chaque contexte sa meilleure approche.

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AU CROISEMENT DE LA TECHNOLOGIE ET DE LA CREATION DU LUXE

Autre point de divergence, les valeurs d’Apple : Jobs a toujours vu son entreprise comme un croisement de deux voies : la technologie et la cr?ation (“liberal arts”). Avec la Watch, Cook semble lui poser Apple au carrefour de la technologie et du luxe. Si cet objet induit une dimension appelant forc?ment des analogies avec la mode et l’horlogerie, on sent que Cook veut explorer ce chemin qui pourrait il est vrai se r?v?ler comme tr?s pertinent : l’industrie du luxe ne souffre pas de la concurrence des prix, par exemple.

Avec une montre tr?s orient?e mode (au sens d?clinaisons) et un tarif qui tournera s?rement plus autour des 450$ que du prix d’appel de 349$, Apple veut se d?gager de la concurrence d?j? f?roce des montres Android, qui atteindront certainement le plancher des 100$ dans 2 ans.

Il n’est pas innocent, qu’Apple ai occult? toute forme de benchmarks et moult d?tails technologiques : le focus, le discours ne se trouve plus ici. On invite des peoples, on cr?e un site plus proche d’un magazine de luxe que d’un site hi-tech. La course vers la premi?re smartwatch cr?dible et mature sera longue, il faut donc trouver son boost, son champignon pour griller les autres ? terme. Sur les specs pures, la guerre ne peut ?tre aujourd’hui vraiment gagn?e. D?j? pas fan absolue de cet angle d’attaque, Apple joue ici sur d’autres cordes.

La qualit? autour de laquelle tous les premiers t?moins sont d’accord sur la Watch, c’est l’incroyable ma?trise et finition du produit (? d?faut de son design, litt?ralement mal d?grossi). Tout comme les iPhones 6, apparemment superbes pris en main, cette montre incarne la r?elle force actuelle d’Apple : son expertise en design industriel. La technologie n’est plus autant un facteur diff?renciant, mais le Premium, oui. Demandez ? Samsung, actuellement en position d?licate avec ses t?l?phones en plastique, ce qu’il en pense.

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LA FORCE DE L’OMBRE, LE BENEFICE DE L’AURA

Ce keynote ?tait important, voire crucial. Il adoube officieusement et r?ellement l’?re de Tim Cook. Et ce dernier, visiblement plus ?mu qu’? l’accoutum?e, a annonc? la couleur. Avec lui, Apple sera une entreprise moins impertinente, mais peut-?tre plus pertinente. Au lieu de tenter de semer la concurrence comme un challenger, Apple va d?sormais se tenir ? l’avant du peloton, comme un leader.

Les iPhones 6 comme l’Apple Watch n’offrent absolument aucune technologie ou usages disruptifs, aucune asp?rit? singuli?re, encore moins casse-gueule. La faute ? Apple, mais aussi ? la concurrence, devenue redoutable, r?active et innovante elle-m?me.

Je me rappellerai toujours de Janvier 2007, en regardant l’annonce de l’iPhone. Steve Jobs, tr?s ?mu et tr?s fier, annon?ait cr?nement avoir au moins “deux ans d’avance sur la concurrence”. C’?tait tellement vrai, technologiquement, comme mentalement. Personne n’attendait ni ne craignait Apple comme aujourd’hui, o? les moindres gestes des uns et des autres sont ?pi?s et r?pliqu?s en cas de besoin.

En 2014, Apple rattrape ainsi son retard sur les usages des smartphones (plus de vid?o, de web, de photo et de jeu – et donc plus grand ?cran) et se lance dans le march? des wearables avec un produit qui pourrait ?tre mat?riellement clon? et d?pass? d’ici son lancement, en 2015. Est-ce le d?but de la fin ? Pas du tout.

Il ne faut surtout pas oublier que Cook est un g?nie de l’ombre : la production, les co?ts, les optimisations, les fournisseurs… L’autre ciment du succ?s d’Apple, c’est lui. L’annonce la plus excitante du keynote, c’?tait en fait Apple Pay, un possible tour de force (la fin des cartes de cr?dit) tr?s discret, tr?s Tim Cook.

Et Tim Cook n’est pas un gestionnaire perdu dans un peloton d’innovateurs. Il reste un gestionnaire au sommet d’une industrie, second? par une arm?e d’innovateurs, Jony Ive en t?te. Et il jouit de l’h?ritage laiss? par Steve Jobs : l’aura Apple, celle qui offre par exemple un ?cosyst?me encore in?gal? aujourd’hui.

M?me si elle ne m’excite aucunement, l’Apple Watch me semble ainsi promise ? un succ?s in?luctable dans les prochaines ann?es. Le simple terreau de d?veloppeurs et de clients la rendra imm?diatement plus riche et innovante en terme, d’accessoires et surtout, d’apps. Les premi?res ventes seront forc?ment sup?rieures ? celles de la concurrence et la client?le, plus encline ? consommer des apps et accessoires, attirera les d?veloppeurs, qui cr?eront l’App ?tendard qui lancera vraiment la Watch etc. C’est un cercle vertueux qui p?se tr?s, tr?s lourd aujourd’hui et qui diff?rencie l’Apple des ann?es 2000 face aux constructeurs d’appareils Android avec l’Apple des ann?es 80 face aux constructeurs de PC Windows.

Je pr?dis donc de tr?s bonnes ventes pour la Watch, mais un r?el carton dans deux ou trois g?n?rations, comme pour les autres grands produits Apple : iPod avec Click Wheel, iPhone avec l’iPhone 4, iPad avec le Mini. Il faut du temps pour maturer le produit et lui trouver des usages levier : Instagram n’aurait pas pu exploser sans le bond qualitatif de l’apn de l’iPhone 4, et inversement.

Sous Cook, Apple sera une entreprise moins disruptive, mais toujours plus efficace et tourn?e vers le haut de gamme. C’est une d?cision sage, mais s?re. Cook est un homme intelligent ? d?faut d’?tre g?nial. Il a compris que le farwest de la mobilit? et du post-pc est termin? : la concurrence, beaucoup plus saillante, a chang?. Apple doit donc changer. Du challenger turbulent, elle doit ?tre un leader imposant. Beaucoup s’en inqui?tent, mais c’est le sens des choses. Fin de l’adolescence, Steve. Bienvenue dans l’?ge adulte, Tim.

Photo : Marco Grob pour le Time