Dans un taxi, avenue Jean-Jaurès. Au feu, deux SDF viennent taper à la vitre. Le chauffeur ouvre et immédiatement, un petit dialogue s’engage.
Je n’ai pas l’indécence de trop m’approcher pour écouter, mais je vois les deux hommes au visage marqué tendre des pièces que refuse le chauffeur. Il semble sincèrement désolé.
Feu vert, la voiture redémarre et laisse derrière nous les deux compères en plan.
…………………………
“Il s’est passé quoi, avec les deux gars ?”
“- Oh, ils voulaient juste me refiler leur monnaie contre un billet, mais je n’ai rien sur moi, je débute juste mon service de nuit.”
“- Mais pourquoi un billet ?”
“- Pour le crack. Les dealers veulent que des billets.”
“- Ah ouais.”
“- Bah oui : Comme ces accros au crack font la manche toute la journée, ils récoltent que des petites pièces, alors imaginez si vous accumulez 40 clients qui arrivent chargés… Du coup, les dealers exigent des billets.”
“- … Et du coup, vous leur rendez-service en échangeant des pièces contre des billets.”
“- Bah c’est surtout que ça nous arrange nous, les taxis. On est toujours en galère de monnaie pour les clients de nuit qui se baladent surtout avec des billets, sans appoint. Du coup, quand j’ai des billets, je les file aux drogués contre des pièces et comme ça, ils peuvent acheter leur crack, je peux rendre de la monnaie et tout le monde est content !”
…………………………
Nous arrivons en bas de chez moi. Je songe encore à ce petit écosystème de la rue entre diverses tribus, comme il doit en exister de multitudes, anonymes et pragmatiques.
Comme dans ces documentaires animaliers, où l’on découvre des petits poissons nettoyant des gros en mangeant dans leur bouche.
Les gens donnent des pièces aux junkies qui échangent cette monnaie aux taxis de nuit contre des billets qui leur permettent d’approcher les dealers, pendant que le taxis rendent la monnaie aux clients.
La probabilité de récupérer une pièce que l’on aurait donnée quelques heures auparavant m’effleure alors que je descend et donne un billet au chauffeur. Un billet de 20.
Nous nous regardons, amusés : mince, j’aurais pu débloquer le petit écosystème, ce soir.
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– Noëlle
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