1987-2007…
Elle est là, dans l’entrée, rit nerveusement… Mais ne peut pas avancer. Nous la taquinons, elle hésite, éclate de rire. Et puis se fige.
Et puis, elle se met à pleurer tout doucement, ma mère.
Nous la serrons dans nos bras, un peu étonnés, pas mal émus. C’est qu’aujourd’hui, les 60 ans de mon père célèbrent aussi un autre anniversaire : Il y a 20 ans pile poil, ma mère quittait cette maison par une nuit d’orage et de rage, officialisant le divorce de mes parents.
Elle se tenait dans cette même entrée, je ne me rappelle que vaguement la scène. Nous avons tous pleuré ce soir là.
Durant ces 20 années de divorce, elle est bien revenue ici, ma maman. Mais toujours de passage, pour nous déposer un dimanche soir sur deux, discuter pensions sur le perron de la porte. Jamais ou rarement elle ne passa l’entrée de son ancienne vie.
Bien sûr et aussi terrible fût le divorce de mes parents, leurs vies ont fait leur chemin et ils ont depuis longtemps cicatrisé. On ne se fait plus face, on se tourne un peu le dos, fatigués.
Mais pour fêter son âge canonique (5 cycles des 12 signes astrologiques chinois), mon père a simplement invité, en plus de tous ses amis, ma mère à venir célébrer la chose dans ce qui fût auparavant leur maison commune.
Nous – leurs 3 enfants – fûmes étonnés de l’ouverture et la décontraction dans l’acte de mon père. Sans doute avait-il enfin passé le cap. Ma mère, exubérante, trublionne et « cool » en diable, a toujours pensé que ce moment serait marrant. Mais ce fût d’abord difficile.
Car pour la première fois depuis 20 ans, elle allait revivre un moment dans ce lieu, pas y passer : Elle était invitée.
Retour dans l’entrée de la maison. Il suffit de faire deux pas. Passer les rideaux et pénétrer dans le salon. Reconnaître les nombreux amis vietnamiens qu’ils avaient en commun, toute cette génération qui a refusé la guerre pour venir tout reconstruire ici, en France, le pays qui les a colonisés (j’ai encore parfois du mal à comprendre).
Elle flotte encore un peu puis se lance, blottie en file indienne derrière nous. Nouvelles émotions : l’étonnement, le rire, l’excitation de revoir toutes ces personnes, deux décennies plus tard.
Ma mère s’assoit dans un petit coin, se fait aussi petite que possible et scrute avec sourires et nervosité. Lien, la compagne de mon père, fait le premier pas et l’accueille chaleureusement, elles se connaissaient « d’avant ».
Puis il arrive, le soixantenaire, avec au bout de ses grandes fourchettes des morceaux d’oreilles du cochon laqué qui fait l’attraction du festin du jour. Et les dépose dans l’assiette de ma mère. C’est un peu tribal, trop solennel et surtout complètement saugrenu. Et tout le monde éclate de rire, mon père a toujours ce sens de l’humour assez unique.
La journée fût belle.
Quand j’étais petit, il m’a fallu des années pour accepter le fait que ma mère et mon père ne se remettraient jamais ensemble. Aujourd’hui, ils se sont retrouvés comme deux ennemis ancestraux, un peu étonnés de voir que la vie est parfois simple.
Bienvenue dans l’Entrée.
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